samedi 22 novembre 2014

D'amour et de prose

  Pas moyen d’avoir une christ de minute tranquille. Tu la baises, tu laves la vaisselle, tu payes le resto, ses cours de théâtre; tu la divertis, la bichonnes, la couves... Mais non.
            T’essaies de lire au lit, assis à côté d’elle qui lit aussi. Tu devrais avoir la paix, non?
            Oh non.
            - Eh, Joël, c’est super-bon ce livre! Écoute ce passage!
            Blablabla, blablabla blabla...
            T’as envie de lui réciter à voix haute, toi aussi, le bouquin que tu lis. L’Art de la Guerre, le dernier L’actualité, ou encore une circulaire de Provigo. Et quand je dis à haute voix, c’est mégaphone pleine puissance, au max les décibels.
            - AH BON? EH TOI, ÉCOUTES ÇÀ, JE NE TE LE DIRAI PAS DEUX FOIS!: «UNE SALADE PEUT ETRE MANIPULÉE DURANT TROIS JOURS AVANT D’ETRE OFFERTE AUX CLIENTS D’UNE GRANDE SURFACE.» TU VEUX QUE JE TE LISE LE RESTE? OU QU’ON LISE CHACUN TOUS LES DEUX NOS LIVRES À VOIX HAUTE? ON N’Y COMPRENDRA QUE DALLE MAIS ON RENOUVELLERA NOTRE VIE CONJUGALE!
            Non, tu piles sur tes sentiments. «Je suis probablement trop égoïste.» Tu fais un «eh ben» un peu encourageant, mais pas trop quand même. En même temps, tu te demandes comment la calisse de folle se rend pas compte qu’elle te fait chier, que t’aimerais ça avoir un hostie de cinq minutes de paix dans la journée, pas obligé d’être amoureux, drôle, empathique, serviable, empressé.
            -Chéri, ce mec c’est vraiment un écrivain! Écoute ce passage...»
            En plus, elle répète trois fois tout ce qu’elle dit, la sacrement. On dirait une bègue qui souffre d’Alzheimer. Une chance que tu la trompes pas avec son clone! T’es tellement con, t’en serais capable.
            Ça te tente pas de la crisser là? Retourner à Montréal, tranquille, peinard? Te commander des mets chinois, fantasmer dans les bars, fermer la lumière et te finir au poignet, recommencer une autre journée, souverainement seul?
            Ça te tente pas de t’en débarrasser une bonne fois pour toute? Un accident est si vite arrivé...
            «Votre honneur, en son âme et conscience, mon client n’a jamais voulu décharger sa 12 à bout portant sur sa conjointe pour ensuite la dépecer, la démembrer et donner ses morceaux à manger au monstre du Lac Memphrémagog. Il avait bu 13 bières, de mauvaise qualité. Il l’a tout simplement prise pour un chevreuil... Bien sûr votre honneur, la saison de la chasse était terminée, mon client est disposé à suivre une thérapie avec Braconniers Anonymes.»
            La paix, la sainte paix.
            Ou encore la perdre dans le bois, elle sait même pas que le soleil se lève à l’est, le soleil et elle, c’est le jour et la nuit...
            La pousser en bas du canot, cueillir le mauvais champignon, échapper une perceuse dans son bain, lui donner un blind date avec 15 serial killers...
T’es trop couillon.
            - Chérie, je trouve que t’as vraiment le tour d’aller chercher l’essence de tes lectures.
            L’essence... celle qui allumerait le bûcher où trônerait Katia (ou Michelle, ou Dominique, ou Alexandra), juchée sur tous les livres que tu as eu le malheur de lui conseiller. Alexandrie? Qu’une étincelle. Le couple ? Un accommodement déraisonnable ; même les plus beaux souvenirs finissent par grincer. On a beau tenter de se les fabriquer le plus dorés possible, ils finissent toujours par se barrer en couilles. Ça t’a des relents nauséabonds de nectar tourné en eau de boudin. Comme si, aux noces de Canaa, Jésus avait changé du Mouton Rotschild en jus de poubelle... L’amour? Un euphémisme pour bâillon. Un concept romantique dicté par les hormones et le besoin de sécurité affective.

            - Tu es dans la lune mon chéri! À quoi tu penses?
            - Euh... Francine (ou Nancy, ou Véronique, ou Anne-Hélène), où t’as rangé «Suicide, mode d’emploi» ?
            - Sur la même tablette que «Comment apprêter un gigot en 20 minutes»… Pourquoi, tu veux te tuer?
            - Non, je veux griller une dinde.

-       C’est la tablette du haut.

dimanche 16 novembre 2014

Il faisait -15.

Je marchais dans l'allée des drapeaux du Musée. Une femme venait vers moi. Il faisait doux, les arbres était pleins de neige. Un renard roux est surgi du bois, la queue en l'air. Effronté, il a fureté un temps, nonchalamment dans l'année, puis s'est poussé.  Arrivée à ma hauteur, la femme m'a dit: J'adore Yellowknife. Je lui ai souris et je lui ai dit: «Je pensais exactement la même chose.»